Ce matin, j'ai bu l'absurdité du monde en m'épanouissant devant le savoir. J'aurais damné les penseurs pour faire admettre au monde ses fautes. Ces jeunes âmes fantasment sur les erreurs de leurs géniteurs, en bon révoltés qu'ils sont. Ainsi, si la plupart d'entre eux sont les fruits de la société de consommation, celle du divertissement et de l'uniformisation des pensées, ils voudraient rejeter toute la réalité de leur situation sur les épaules de la génération précédente.
Les penseurs disent : « Mes contemporains sont des cons asservis, mais c'est la faute de la génération qui les a engendrés. ». Mais c'est pur aveuglement que de nier le poids du choix. A partir du moment où quelques individus échappent à l'affligeante télévision et la tentaculaire culture de masse, il n'est pas juste de dire que le rapport des êtres au spectacle abrutissant dont on les abreuve est inévitablement un lien indestructible de passion et d'admiration. Le choix fonde l'homme.
Lorsque l'on propose des livres à deux créatures, enfants des mêmes parents, l'un pourra les dévorer, et l'autre les rejeter. De même, recevoir le message de la société est un choix, et si les gens sont incultes, ils en sont en grande partie coupables. Trouver un travail, gagner de l'argent, acquérir un savoir académique, tout cela dépend plus ou moins des conditions auxquelles l'individu est confronté. Mais décider de s'ouvrir à la culture , ou d'y rester hermétique dépend de la volonté de l'individu.
Avant tout, livrons-nous à un simple constat, en comparant la génération de nos parents et la nôtre, du point de vue de la culture, de la création artistique, de l'ouverture sur le monde en général.
En ce qui concerne la qualité des hommes politiques, je crois que nos parents n'ont à nous envier ni Nicolas Sarkozy ni Ségolène Royal. Ni eux ni leurs débats creux, et encore moins leurs appuis.
En 1980, Jean-paul Sartre mourut. Il était certainement l'un des derniers intellectuels de nos temps. A cette époque, les hommes politiques s'entouraient de Raymond Aron, Jacques Attali, ou encore Régis Debray. Aujourd'hui, ce sont les Faudel, Johnny Halliday, Enrico Macias, Richard Virenque, Diam's, Arthur, Jean-marie Bigard, et dans le meilleur des cas, les André Glucksmann, qui pullulent dans les sphères de l'image politique. Que du beau monde.
Dans la société en général, la culture et l'intérêt que lui portent les citoyens ont complètement évolué. Aujourd'hui, les adolescents les plus boutonneux comme les trentenaires les plus dynamiques s'avachissent devant la Star Academy, lisent sans honte Harry Potter dans le métro, méprisent les intellectuels, auxquels ils reprochent d'utiliser de grands mots incompréhensibles... On m'a répondu à juste titre que les gens les plus intelligents pouvaient eux aussi perdre leur temps à se vider le cerveau à coups de paillettes et de gentillesses aseptisées. Si tous les téléspectateurs, qui jouissent tranquillement de l'exhibition qui se déroule sans eux dans l'arène de leur écran, étaient en réalité des intellectuels soucieux d'oublier un peu le quotidien, je n'aurais rien à dire. Mais la grande majorité d'entre eux n'appartient pas à cette catégorie. Quand un adolescent crie haut et fort sans honte « Les séries américaines c'est ma vie ! », on est bien loin de l'intellectuel tourmenté. Nous devons réaliser l'état de note société !
Il y a trente ans, les manifestations voulaient dire quelque chose, une réelle force d'opposition politique existait, des disques, livres, films majeurs éclosaient tous les mois sous les impulsions salvatrices des plus grands génies agonisants ; il y a trente ans, les gens ne s'inquiétaient pas tant pour leur avenir professionnel et pouvaient suivre leur passion ; il y a trente ans, les jeunes se battaient pour préserver l'héritage libertaire de mai 68, les jeunes méprisaient toutes les formes d'abrutissement, se révoltaient contre la culture de masse, les jeunes rêvaient puis agissaient. Aujourd'hui, la jeunesse est triste, terne, sans avenir, sans espoir, elle est résignée à être abrutie, puis qu'elle l'a choisi.
Ce ne sont pas nos parents qui nous ont appris à ne plus sortir, ne plus nous intéresser, ne plus vivre. Nous avons préféré à la rugosité des pavés la profondeur de notre canapé.
Je pense, sans vouloir jouer mon gauchiste incorrigible, que ce déclin des rêves est en partie dû à l'abandon de certaines idées de gauche. Il était facile d'être da gauche il y a trente ans. Aujourd'hui, rien n'est plus difficile. Il nous faut affronter les réalités du marché, et les sarcasmes des néo-réactionnaires de droite. Le jour où le mur de Berlin est tombé, où le communisme s'est affaissé sous son propre poids, je pense qu'un rêve a pris fin. Et le rêve social et économique a emporté dans son courant dévastateur les ruines du rêve de la culture.
De même, aujourd'hui, la majorité des français lit de la merde sans saveur. On peut dire qu'il s'agit là de l'un des effets de la stratégie mercantile qui touche tous les secteurs de notre société, car les bons ouvrages sont noyés dans un flot de médiocrités colorées. Mais on peut aussi se dire que la production littéraire n'a jamais été aussi libre et variée. Il ne tient qu'à nous d'aller fouiner derrière les rayons des librairies, de débarrasser les étagères étincelantes de leurs biographies de Benjamin Castaldi, pour découvrir Mabanckou ou d'autre poètes oubliés. Nous ne devons pas accuser nos prédécesseurs de nous avoir gâché le paysage littéraire, si nous ne faisons pas l'effort de cracher sur la platitude, et de chercher l'originalité.
Aujourd'hui, nous sommes plongés dans la société du divertissement. Tout est uniforme. On pourrait dire que cette uniformisation provient d'une volonté de récolter plus d'argent, en se contentant de mal recopier ce qui a déjà été fait, et qui a réuni un grand public devant le poste. L'initiative de la télé réalité, ou celle de la découverte des nouveaux « talents » de la chanson, ont été copiées plusieurs fois. Si ça marche chez les autres, pourquoi pas chez nous? Mais ceux qui produisent de telles émissions ne sont pas à blâmer, car, en tant qu'offre, ils n'obéissaient qu'aux injonctions de la demande. C'est parce que nous sommes une génération de consommateurs, et que nous avons décidé que ce type d'émissions devait nous plaire, que l'on nous les sert sur un plateau-repas.
Laisser à nos parents toute la responsabilité de ce que nous sommes devenus, c'est nier la part de l'acquis, pourtant essentielle dans la construction d'un être humain. Si tout était acquis, si tout était de la faute de la génération précédente, étant donné que nous en sommes tous issus, nous devrions tous être avachis comme des bovins devant notre poste.
De plus, nous sommes actuellement confrontés à une double tendance concernant la manière dont la société considère l'individu. Avant tout, notre société a mis en place une stratégie d'abrutissement des masses humaines, en partant du postulat que le peuple était bête,et donc incapable de réfléchir par lui-même. C'est pour cette raison que la télévision nous apprend comment manger, comment boire, comment conduire, ce qu'il faut faire ou ne pas faire, c'est pour cette raison que les caméras et les radars poussent dans nos villes comme s'étale une gangrène sur du béton.
Mais d'un autre côté, au niveau de la création artistique, la situation est opposée. En effet, auparavant, le domaine de la création artistique était réservé à une certaine élite. Mais aujourd'hui, la société a tenté de mettre à la disposition de n'importe qui les moyens de composer de la musique, d'écrire des livres, ou de réaliser des films. S'ensuit un nivellement par le bas de la création artistique moderne, car tous s'improvisent artistes, sans avoir reçu la moindre éducation leur permettant de le faire. C'est la marque de l'Empire américain, le mythe du self made man artiste, en travaillant, chacun peut y arriver, même sans étudier.
Concrètement, la société d'aujourd'hui fait de nous des enfants, et pour que nous ne versions pas de larmes, elle nous met des jouets à disposition, le tout dans son propre intérêt. Elle se débat pour survivre, et assure son immortalité en nous laissant le pouvoir qui l'arrange. Mais encore une fois, rien ne nous empêche de nous lever sur nos fragiles jambes, et d'articuler enfin le mot qui nous donnera peu à peu le statut d'adultes, autonomes et réfléchis, mais néanmoins conscients de la limite qui existe concernant leur rôle et leurs capacités.
Cela ne tient qu'à nous de nous bouger, d'éteindre la télévision et reprendre une activité normale. Cela ne tient qu'à nous d'ouvrir un livre au lieu d'appuyer sur un bouton. Et que l'on ne me dise pas que ce n'est pas à la portée de tous. L'écrasante majorité de nos contemporains peut mettre 5 euros dans un livre. Nous devons quitter la société du divertissement. Celle-ci s'inscrit dans une conception pascalienne de l'homme. L'homme s'ennuie, et il tente d'oublier momentanément son ennui en se divertissant. Son ennui, ou son stress, dans cette société du chiffre, de la réussite. Le divertissement, c'est le détournement de soi : nous devons œuvrer pour que l'homme reprenne espoir, se recentre sur lui-même, et se redécouvre, redécouvre le pouvoir inespéré qu'il a en lui, celui d'agir. L'homme est acteur de sa vie. Le nier, c'est adhérer à la plus inacceptable des doctrines déterministes.
Pour ceux que cette réflexion intéresse, je la développe sur ce site : http://izantza.skyblog.com
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